l'air est moite, l'air est lourd, l'air est insupportable bien que ça soit l'aube - bien que la nature ait imposé un régime sec, bien que nous n'ayons pas le choix que de regarder ce soleil qu'apollon dépose avec son char - il nous nargue, sans nul doute, il rigole de là où il est, il le sait ; nous savons - quel insupportable gosse, n'est-ce pas ? non, personne ne sait sauf nul autre que nous, lui, nous, lui.

notre canne sous notre aisselle ; retenant avec quelques doigts notre toge sortie pour l'occasion, nous nous tenons aujourd'hui au bord de cette mer pour parler en tête-à-tête avec notre frère - le roi des mers, nul autre, poséidon. les doigts de pieds qui se perdent entre les algues qui s'accrochent, rieuses, boudeuse, qui nous narguent, qui nous zieutent, qui nous disent que nous ne sommes le bienvenu en ce lieu, que nous devrions nous terrer - comme le royaume où nous siégeons. les vagues se prélassent à l'horizon, l'océan est calme - nous savons que comme son propriétaire, il peut devenir ouragan et intrépide, bravant même le sol de la terre - et qu'importe ces droits.

peut-être que si nous étions attentifs, nous aurions pu remarquer quelque chose - le calme de cette quiétude troublait par un sifflement ; peut-être - mais pas en cet instant, pas en ce moment, pas actuellement, pas quand nous regardions avec une certaine hargne, la bouche déformée et concentrée ; quand nous nous demandions pourquoi nous étions si différents de cette fratrie, pourquoi nous ne sommes pas comme les autres - pourquoi nous. pourquoi pas eux. pourquoi ? pourquoi, pourquoi, pourquoi ?!

la colère arrive et ... s'en va aussi vite qu'elle était arrivée. car notre lassitude reprend, car nous foulons ces terres, nous voyons ces mers, nous contemplons ce ciel depuis trop longtemps pour ressentir beaucoup d'émotions.

dans ces eaux, pourrons-nous disparaître au fin fond de l'abîme, quand les poissons auront terminé de grignoter la maigre vivacité qu'il nous reste, quand nous pourrons frôler et nullement voir ce qui se cache dans ces profondeurs, tout en sachant que ses yeux, qu'il nous observera, se moquant probablement de nous. car même ainsi, nous ne ressentirons rien, car même ainsi, nous ne disparaîtrons pas, car même en faisant comme il le souhaiterait, nous ne pourrons tout autant nous ravir de cette malédiction qui nous pèse, nous fais souffler profondément.

la main qui se lâche, notre toge venant se mouiller, venant s'imprégner des ressentiments que tu ressens tout autant envers ton frère, ton envie, ta jalousie - une jalousie feinte, une jalousie mensongère, car nous préférons la quiétude d'être sous terre plutôt que de devoir lever les yeux vers notre frère aîné - non ; nous sommes plutôt heureux d'échapper à eux, retranchés dans notre château de cailloux.

notre canne qui se retrouve dans notre paume tandis que nous nous retournons, tandis que nous souhaitons nous en aller - tandis que notre sursaut est vif et nous pousse à gronder ; nous ne nous attendions nullement à ce qu'un squelette vivant se retrouve devant nous, à ce qu'un reptile nous regarde et détourne son regard - ses yeux fendus. tandis que nous sommes prêts à nous approcher de lui pour remettre les pendules à l'heure, pour vociférer à son égard, pour régler des comptes, pour - nous ne pouvons que nous stopper tandis que nos yeux s'écarquillent, tandis que notre bouche commence à émettre un son « ouro- » tandis qu'on la referme tout aussi sèchement, car non - cela ne peut pas être lui.

car notre mémoire peut nous faire défaut malgré l'âge, car nous pouvons oublier les invisibles inutiles, car nous pouvons ne pas y croire, car beaucoup de paramètres peuvent rentrer en ligne de mire - mais parce que l'image que nous avions de lui n'est nullement cet être devant nous. car il n'est pas l'ouroboros que nous avons connu - car nous prenons conscience que si c'était le cas, il n'aurait pas fait ainsi, il se serait précipité en hurlant vers nous ; d'un dynamisme qui nous a toujours fait hurler tout autant et dont nous fuyons sans vergogne. non, celui d'avant n'était pas cette coquille aussi vide que nous étions, ce coquillage inerte - ce squelette que nous dévisageons tandis que nous resserrons la prise sur notre canne.

nous la levons, la pointant dans sa direction, non pas avec un doigt, mais avec le bout de cette canne empreinte de sable - nous pointons l'individu, nous murmurons, dont seul le vent et lui peuvent entendre « ta renaissance est moche. » car la sympathie n'a jamais fait partie de notre langage.

notre bras qui ne faiblit pas, bien que notre canne ne soit pas la plus légère ; nous ne faiblissons pas, nous fixons sans plus un mot dire l'apparition devant nous et nous déplorons sa question ; nous déplorons que sa mémoire se soit fracturée comme la coquille d'un reptile naissant ; des particules, des bouts, qui s'échappe de ce corps, se disloque et ne recrache que ce qui se trouve devant toi.

combien de vies sont passés, combien d'hivers se sont affirmés, combien de naissance, de renaissance, de mort, pour qu'il finisse ainsi - ton nom, celui de naissance, celui qu'on nous donne à travers les âges qui résonnent et des dents qui craquellent nos lèvres pour laisser couler un semblant de sang - rien qu'un sang blanc, rien qu'un sang doré - l'ichor d'un dieu qui coule le long de nos veines imaginaires.

un nom qui résonne et un plissement d'iris, un plissement de sourcils - rien, rien ne sort de nos lèvres, rien, juste le liquide ocre qui coule jusqu'à notre menton ; nous n'approuvons pas ces paroles, nous n'approuvons pas l'hésitation dans sa voix.

la goutte d'eau qui fait déborder un vase invisible quand sa main agrippe son bras gauche, quand il admet une faiblesse - quand nous n'en pouvons plus, notre canne s'abaissant avec fracas, pour seul témoin de celui-ci, les perles de sable qui s'envolent, tandis que nous retenons notre rage avec peine « depuis quand es-tu si faible ? c'est débectant ! » l'autre bras qui se lève, qui désigne avec cinq doigts ce corps, de haut en bas, de bas en haut « toi, qui es-tu ?! »

notre voix se lève un peu plus, notre voix se perd, notre voix est dure, cassante « tu brillais, alors pourquoi n'es-tu plus qu'un cadavre ambulant ? » notre voix qui se casse peu habituée à tant d'efforts ; un grondement, une frustration dans tout cela, quand nous ne voulons pas reconnaître, nous ne voulons pas dialoguer avec cette chose qui se fait passer ;
ouroboros.

ne nous y trompons pas - nous n'étions ni amis, ni collègues, ni quoi que ce soit de quelque façon que ce soit ; nous n'accordons notre intérêt qu'à très peu d'individus, tout du moins, d'invisibles ; et que ça soit l'individu devant nous ou celui d'avant, il n'en faisait pas partie.

si le serpent murmure à l'oreille de certaines mythologies - si le serpent est craint voir adulé - il ne peut nous atteindre tandis que nous secouons la tête à ces questions. non, il ne peut nous susurrer de la colère, il ne peut nous inciter à ressentir de quelques émotions factices, de rien du tout - il n'est rien pour nous, il n'est plus ce qu'il était et cette version-là n'est qu'odieuse.

alors quand ce serpenteau nous parle d'ancienneté, de manque de faiblesse ou tout simplement de nous frapper - que cela n'est pas juste ; nous ne pouvons pas nous retenir - nos doigts qui se lèvent pour planter nos ongles dans notre front, le pouce qui se perd sur notre menton, s'enfonçant tandis que notre corps convulse d'un rire profond, d'un rire si intense qu'il sort de nos lèvres, tandis qu'on hurle de rire, notre seconde main se perdant sur notre ventre douloureux, quand notre canne ne peut que suivre ce mouvement.

et tout aussi vite que cette hilarité arriva, elle disparut, nous permettant de nous redresser de toute notre hauteur, de notre stature, nos mains revenant à leurs places initiales, l'une tenant le lien entre le sol et nous - l'autre pendu à nos côtés, notre visage fermé de toute émotion - nos pupilles ombrageuses reflétant une immensité de ténèbres sans nom, les pires cauchemars. quelques gouttes dorées qui coulent le long de notre front, font le tour de notre œil - frôlant soit notre nez, soit notre tempe, avant qu'elles ne disparaissent au fur et à mesure.  

« pathétique » d'une voix dénuée d'émotions, une froideur de bronze comme seules nos statues sont décrites ; « viens donc si tu l'oses. » car la douleur de ton pouvoir, nous l'avons déjà entraperçu, car nous ne sommes pas un faible invisible - car sous ce sable, nous ressentons des squelettes humanoïdes que nous n'hésiterons pas à relever pour te punir du méfait de nous croire si ancien, si vieux, si impuissant que tu penses croire de nous.

ne joue pas
avec l'enfer.