Respirer.
Lueur de la lune.

La course était difficile, le souffle haletant. Isaac avait ressenti le besoin intangible de se ressourcer. Son dos se courbait, s'affaissait sous le poids des responsabilités.
Une fois une tenue de sport enfilé et son fleuret d'escrime empoigné, il avait fui son domicile avec hâte. La nuit tombait, elle offrait un spectacle de sérénité et une pénombre appréciable.

Il n'était plus l'Ambassadeur.
Un simple citoyen.

Enfoui dans les ténèbres des branchages du parc, il s'évertuait à n'être qu'une silhouette parmi tant d'autres. Un geste puis un second, il s'entraînait sans relâche pour vider son esprit. Son arme effectuait de petits sons sourds avec lesquels il s'animait en rythme.

Les tentatives étaient veines, les questions ne cessaient de l'enlacer. Un soupir las s'échappa de ses lèvres au constat qu'il ne parvenait pas (plus) à se détacher de son rôle. Depuis quelques années déjà son esprit n'avait trouvé repos. Le regard hissé vers le ciel, le faciès baigné par la lumière de la lune, Isaac sembla presque questionner du regard ce qu'il imaginait être les hautes instances divines. 

Ne pouvait-il pas avoir ne serait-ce qu'une seconde de répit ?

Soudain.
Une quinte de toux vint très vite le faire revenir à la réalité. L'escrime ne lui suffisait plus. La lame rangée il retira son haut pour finir en débardeur, ne prenant plus en compte les températures. La course était sa dernière option, ainsi il commença à hâter le pas vers son domicile, déçu, encore une fois d'avoir échoué.

Le destin s'amusa malgré tout de lui. Concentré sur son avancée, il eut la sensation de voir les ombres danser autour de sa personne. La lueur de la lune semblait lui offrir un spectacle auquel il ne s'attendait pas.
Sur le toit de son épicerie favorite, une femme dansait. De l'art, une prouesse sans nom. Très vite Isaac fût subjugué et resta là, mutique et figé face à un tel talent.

Pureté.
Elle ne pouvait être qu'une Invisible.

Telle une marionnette, il dénicha un escalier de secours pour espérer atteindre la divinité. Les fils lui intimaient de l'atteindre, ce qu'il fît une fois la dernière marche franchie.

Silencieux il la laissa poursuivre.
Malheureusement son corps en avait décidé autrement. Une nouvelle fois, la toux le frappa, plus forte que la précédente.

— « Je, je suis désolé. Je ne voulais pas vous déranger. »
Petit geste évasif de la main pour traduire sa gêne tandis qu'il reprenait enfin son souffle. La scène était ridicule ; face à une telle entité il était là, recouvert de sueur dans un accoutrement de sportif.

— « Faites comme si je n'étais pas là. »

Fascination.
Déjà bien avant de devenir l'ambassadeur, Isaac avait ce besoin intense d'en apprendre plus sur les invisibles. Ils dégageaient tous un petit quelque chose qu'il ne pouvait se permettre d'ignorer.

Impressionné au premier coup d'œil, il parvenait malgré tout à se détacher de cette emprise. Sa curiosité le guidait, le menait à faire un pas vers eux puis d'autres.
Triste de constater d'ailleurs que l'homme était bien moins enclin à cette bravoure face à ceux dont il partage la chair et le sang. L'humain lui a toujours fait peur, plus que l'inconnu et le mysticisme dont peuvent faire preuve certains invisibles.

Frappé par la toux, son regard ne parvint pas à se détacher d'elle. Son charisme et son aura, il y avait ce détail qui l'attirait.
La peur n'existait plus.

Son intérêt avait pris le contrôle, ses yeux brillant aussi intensément que la lune. Le bruit avait interrompu le spectacle mais il fît mine de s'en accommoder sans difficulté. Avec eux — les invisibles, son angoisse disparaissait, il était la force personnifiée.

Sa sollicitude le fît sourire.
— « Ne vous inquiétez pas, tout va bien. Je suis habitué à ce que mon corps me mette dans l'embarras. » 

Isaac s'avança de quelques pas, son buste incliné vers elle en guise d'excuse. Il détacha alors son haut accroché autour de sa taille pour le mettre sur ses épaules. L'ambassadeur se devait de retrouver une certaine dignité. Son vis à vis méritait une telle attention.

— « J'étais sur le chemin du retour mais votre prestation était si belle que je n'ai pu me retenir de venir. Je m'excuse d'ailleurs, ma toux vous a empêché de continuer. Peut-être ne souhaitez vous pas une audience ? J'ignore pour quoi ou qui vous dansez. »

Son rang lui avait tant enseigné.
La bibliothèque familiale lui avait offert moult ouvrages, bien assez pour savoir que ses entités ont des croyances et des rituels singuliers. L'esprit en totale ébullition rien que d'y penser.

Regards vers ses épées puis son fleuret.
— « Effectivement, mais bien loin d'un niveau aussi fabuleux que le vôtre. Vos mouvements étaient si précis et majestueux que j'en ai eu le souffle coupé. De mon côté je ne suis qu'un simple épéiste qui a gagné quelques tournois. Rien de bien magnifique. »

Trop humble pour s'avouer son talent dans cette discipline.
Il secoua la tête brusquement.

— « Quel manque de courtoisie, je ne me suis même pas pas présenté. Je suis Isaac Meier, Ambassadeur entre les humains et les invisibles. C'est un honneur de vous rencontrer. »
Toujours respecter et flatter.

Enchanteur.
Isaac écoutera toujours son enfant intérieur.

Peu importe. Son âge, son rôle ou ses responsabilités ne changeront jamais cette affirmation. Le regard enfoui dans celui de son interlocutrice, il ne peut retenir des pensées au sujet de cette dernière. Son allure le faisait s'imaginer dans les plus beaux contes ; son élocution se sentir face à une souveraine d'une autre époque.

Lui qui passait son temps dans des ouvrages fantastiques ne pouvait que se montrer émerveillé. Les invisibles lui donnaient cette occasion d'apprendre et de rêver éveillé.

Non sans un rictus, il constatait ses sourcils froncés à l'allusion de son corps et ses faiblesses. Son observation lui susurrait alors qu'elle était une femme pleine de bonté à l'égard d'autrui. Son inquiétude était rassurante, il n'était pas tombé sur une entité hautaine ou déluré. Du moins, il croisait les doigts pour ne pas se tromper...

Son compliment fît mouche.
Splendides rougeurs sur son visage nacré.

L'ambassadeur prit alors l'initiative de s'avancer dès lors qu'elle répondit à sa présentation. Le revers de sa main vint passer sur son front pour essuyer d'avantage la transpiration perlant encore sur son front, ici et là. Presque à son niveau il s'interrompit, son arme abandonnée à ses pieds pour appuyer son absence d'animosité.

Son buste s'inclinait à son tour.
— « Enchanté à mon tour. Votre maison doit être plus qu'honoré avec un tel spectacle. Encore mes félicitations. »

Une idée derrière la tête germait.
La main au niveau de son menton, il jouait la réflexion.

— « Chang'e, Chang'e... Ce nom ne m'est pas inconnu. Votre nom est lié à la lune si je ne m'abuse ? Pardonnez mon manque de connaissance si ce n'est pas le cas. »

Lors de son apprentissage avec son grand-père il avait appris la nature des invisibles. Pour cette raison il avait essayé d'emmagasiner le plus de légendes, d'histoires et autres événements passés. Isaac ne voulait en aucun cas manquer à son devoir d'autant qu'il s'agissait sans doute des personnalités les plus susceptibles. Préjugés ? Sans doute.

Coup d'œil en coin vers elle.
— « Votre talent n'y est pas pour rien. Il faut savoir mettre en avant ses qualités. Votre vie vous a sans doute aidé mais pas que. Soyez en certaine Dame Chang'e. »

Charmeur prônant ce qu'il ne fait guère pour lui-même.
— « Je rêverais d'avoir un niveau comme le vôtre. Avoir le sentiment de posséder une telle force doit être appréciable. »