vous posez votre tête sur le sommet du crâne de votre partenaire qui vous porte en ce jour ; la lune est fatiguée, la lune se fait porter, la lune est si légère que vous ne pesez pas bien lourd entre les bras d'autrui ; un peu plus et vous pourriez vous envoler jusqu'à l'astre sur lequel vous résidiez dans votre conte originel. vos compagnons s'alternent quand ce ne sont pas sur leurs épaules que vous bravez en tant que pirate ou que vous vous faites porter telle une princesse de conte de fée ; iels le font de bon cœur, même si cela vous préoccupe, ne souhaitant guère les forcer à faire cela s'iels ne le souhaitaient pas.

dans les ruelles de cette ville, vous en faites le tour pour réfléchir à la disposition de votre futur spectacle ; si cela ne serait pas une course poursuite entre les toits de cette ville, laissant des traînées d'étoiles dans votre sillage ou tout simplement un drame qui se solderait par un coup de malheur au cœur ; vous réfléchissez, vous, la lune - de ce qui pourrait faire scintiller les rêves et espoirs de ces humains. regardant avec un sourire doux sur votre visage les allées et retours des enfants se préparant à la rentrée des classes qui ne devaient pas tarder pour eux ; la lune se renseigne, vous souhaitez émerveiller le plus de monde, que cela soit les grands ou les petits après tout.

peut-être un pressentiment, ou peut-être une envie subite de vouloir leur offrir l'un de vos lapins à ces jeunes filles qui riaient, que vous délaissez le dos de votre compagnon en leur demandant de poursuivre les recherches ; levant la main droite, d'un geste ample pour qu'une couche de luxine verte se dépose devant vos pas, un pas après l'autre, une jambe qui se lève, votre sourire et votre envie subite de faire des mouvements de bassins ou de tendre les jambes bien haut avant de reposer le pied sur votre pouvoir - c'est que vous ne pouvez vous en empêcher ; suivant la petite troupe de damoiselle, espérant pouvoir glisser un lapin sans qu'elles s'en rendent compte. une odeur de cèdre dans votre sillage, votre robe longue de soie voletant au gré de votre manège ; votre coiffure presque défaite, mais ne perdant pas de son charme, tressé avec des feuilles d'argent et quelques lapins verts se glissant entre deux ; une simple étole sur vos bras même si vous ne ressentiez pas le froid ni le chaud.

vous vous n'attendiez surement pas à voir une ombre dans cette ruelle, vous arrêtant, les jeunes filles devant vous ; votre tête se penchant en essayant de discerner cette ombre et ce qu'elle souhaitait ; la lune réfléchit, la lune se demande et vous vous interrogez si cela n'est pas invisible.

Aujourd’hui, Elvy s’est sentie plus étrange que d’habitude. Elle a pleuré, encore et encore, des litres de larmes qui auraient pu servir de piscine à une habitation du coin ; sa peine aurait pu profiter à n’importe qui le voudrait. Mais la douleur, bien que spirituelle, était si vive, si déchirante, le cœur serré.
Elvy a compris.
Le fil blanc a disparu.
Alors elle est certaine d’une seule chose ; c’est que Svea l’a oublié.
Mais le déni est plus fort que tout. Elle se dit, ce n’est pas grave, si la petite la rencontre à nouveau, tout reviendra comme avant ? N’est-ce pas ?
Ce n’est pas aussi simple que ça.
La chimère est trop naïve, elle croit bien faire en s’approchant de la rue où il y a ce charmant petit jardin – celui où elles jouaient ensemble, autrefois.
C’est la rentrée, déjà ? Les vacances passent si vite, surtout quand les enfants s’amusent. Alors Elvy guette jusqu’à ce qu’elle puisse apercevoir la jeune fille sortir de sa maison, toute pimpante et enjouée à l’idée de voir ses camarades ! Ah, Svea, la douceur et l’innocence d’une enfant déjà trop grande – que le temps passe à une si vive allure.

Le rythme cardiaque s’accélère, et la chimère ressent une légère douleur au creux de son estomac. Sûrement l’impatience de revoir son ancienne amie.
«Svea ! Tu as tellement grandi !» Mais la chimère n’existe plus pour elle, car l’enfant s’est juste contenté de continuer sa route. Sans un mot.
Oubliée, mais totalement invisible – c’est dans la nature des imaginaires de l’être, non ? Totalement transparents, plus aucune conscience de son existence.
Elvy est brisée.
«Non ! C’est pas vrai ! C’est faux !!»
Le cri de détresse résonne dans le quartier en faisant fuir les oiseaux. Alors que les enfants nébuleux ne se rendent compte de rien, ceux qui ont la vision préfèrent faire comme s’ils n’avaient rien entendu – la chimère inspire la peur, il faut juste l’ignorer !
«Pourquoi… ?»
Ses ailes tombent, plus aucune énergie pour rester droites et élégantes, son corps est si mou, comme si, quelqu’un l’avait achevée. D’un simple coup d’épée, comme dans les contes de fée…
Elle devient une ombre dans un coin de la rue, pendant que les écoliers continuent leur route jusqu’à leur point de rassemblement. Elle les regarde, la vision troublée par des gouttes énormes, des larmes d’une profonde agonie.
Peut-être les dernières…

vous n'avez pas l'habitude de ressentir, d'attendre ; vous êtes plutôt du genre à aller directement vers ce qui vous intrigue, de poser des questions - d'y aller, dans cette action et non dans l'inaction d'un instant. mais ici même, encore dans l'ombre de la ruelle, vos doigts se posent et caressent votre menton - tandis que la lune réfléchit, tandis que vous vous posez des questions sur cette ombre qui n'en est pas une ; d'une ombre qui se dévoile.

sans nul doute une invisible au vu de sa taille imposante et de ses caractéristiques guère commune aux humains ; son aura ne fait que confirmer votre impression - pour autrui, les griffes, les ailes, les deux mètres auraient pu faire fuir, aurait pu vous faire craindre quelque chose ; mais pour vous ? ce n'est rien, ce n'est qu'une simple envie de découvrir comment cette invisible est née, comment elle vit, quel est son pouvoir et son utilité de tous les jours ; ses désirs. est-ce une émotionnelle ? une folklorique ?

vous avez tant de questions, vous vous apprêtez même à vous approcher, quand vous entendez sa voix, quand vous entendez son impatience, sa joie dans le nom de cette petite fille qu'elle regarde - qui ne se retourne absolument pas ; et vous comprenez - vous comprenez que cette petite fille est sans nul doute sa créatrice et qu'elle ne la voit plus.

tout comme ce constat vous frappe en plein coeur, il frappe cette invisible dont vous ne connaissez même pas le nom qui lui fut donnée - son cri ne vous effraie pas ; son cri vous fait juste laisser une larme couler le long de votre joue que vous essuyez précipitamment. vos doigts se lèvent doucement tandis que vous entamez votre marche pour arriver près d'elle, tandis qu'elle chute et que ses larmes sont visibles - vous retenez les vôtres à grand-peine ; pour ne pas vous-même vous laisser tomber.

parce qu'il fallait que vous soyez là pour elle ; parce que votre rôle en ce moment présent était de lui dire que quelqu'un la voyait (vous), que quelqu'un la comprenait (vous), que quelqu'un était stable (vous) tandis que tout s'écroulait autour d'elle. vous approchant lentement, délicatement, pour ne point la brusquer, vous arrêtant à quelques centimètres d'elle « le sol n'est pas un endroit pour un être comme toi qui possède de si sublimes ailes. » parce que les simples mots de réconfort comme "je comprends", ou "tout ira bien" ne sont que vains dans ce genre de situation ; parce que vous savez qu'ils ne seront que creux - non, ce n'est pas de ça, dont elle a besoin ; elle a besoin de savoir que quelqu'un la voit, que quelqu'un trouve sublime ces ailes, de comprendre qu'elle n'est pas seule - tandis que vous reniflez discrètement pour ne pas pleurer à ces côtés.

si vous pouviez, vous auriez posé votre main sur son épaule ; ou bien vous lui aurait fait une étreinte pour la réconforter en lui parlant des bonnes choses à manger, des paysages sublimes en dehors de cette ville ; de ces humains fascinants ; mais vous saviez aussi qu'une inconnue ne peut se permettre ce geste ; alors à la place, vous vous accroupissez et vous asseyez sur la marche solitaire, à quelques centimètres au-dessus du sol ; si l'invisible le souhaitait, elle avait juste à ouvrir les yeux pour vous voir ; vous - tout comme vous la voyez et vous aimeriez tellement pouvoir passer vos doigts sur ses joues pour essuyer les traces humides.