Aujourd'hui est un jour particulièrement marqué par une lassitude que même ta sieste au soleil n’avait pas réussi à endormir. L’ennui ne t’a jamais été étranger, Kumiho. C'est peut-être pour ça que tu as toujours cherché à te rapprocher des hommes, malgré leur propension à te faire vivre des jours que tu considères, encore aujourd'hui, comme tes plus sombres.

Tu as flâné le long des rues, laissé tes yeux traîner sur les vitrines en chemin, et même observé Byeol embêter un chat sur le bord d’une fenêtre, mais rien n’y fait, cette journée n’en finit pas. D’habitude, tu peux jouer avec les enfants sous ta forme animale afin de faire s’écouler les heures plus vite, mais depuis la rentrée pas l’ombre d’un gamin en vue. Tu as même tenté de faire la conversation avec un humain qui semblait te répondre, avant de te rendre compte qu’il ne te voyait pas du tout et qu’il parlait simplement au téléphone avec une oreillette - une anecdote que tu garderas pour toi.

Il aura au moins eu l’avantage de te donner l’idée d’utiliser ton propre téléphone pour essayer de trouver quelqu'un avec qui passer le temps, mais tes messages sont restés sans réponse, peut-être que tes amis du monde éthéré sont un peu trop vieux pour être familier avec la technologie, il va falloir y remédier… en trouvant des connaissances plus jeunes.

Alors que tu pianotes sur ton téléphone - désespérément à la recherche d’une compagnie - sans vraiment regarder où tu vas, tes pas te mènent finalement devant la médiathèque. Tu hésites quelques minutes, t’as envie de bouger, de faire quelque chose, pas seulement de te poser pour lire un livre. Avec un soupir, tu décides tout de même de te poser à l'intérieur quelques instants, pour tenter de tromper l’ennui.

Un signe de tête à la personne assise derrière le bureau à l’entrée avant de commencer à te perdre dans les étagères. Beaucoup d'œuvres que tu as déjà lues, d’autres aux couvertures suspectes dans les rayons les plus en hauteur et enfin, tu réussis à choisir quelque chose. Une recherche peut-être vaine puisque tu as à peine le temps de lire quelques pages avant qu’on ne vienne t’interrompre.

Beaucoup de lecteurs auraient fusillé du regard celui ou celle à l’origine de l'indiscrétion, mais toi, toi, tu accueilles ça avec un certain entrain - si on laisse de côté la pique lancée à ton égard. Je lis certainement mieux que toi vu notre différence d'âge. Le livre est bien vite fermé, tu n’as même pas eu le temps de retenir quoi que ce soit de l’histoire pour être honnête, mais pour l’heure, Kaan est bien plus intéressant.

Tu t'approches de lui, le regard qui pétille et un sourire qui étire tes lèvres, Byeol flottant près de toi avec sa petite lumière bleue. Livre toujours à la main, tu croises les bras derrière ton dos avant de te pencher légèrement vers lui. Aux dernières nouvelles, on vient dans une médiathèque pour lire, Kaan. C’est à ça que servent les objets sur les étagères, pas juste à caler ta table bancale. Le sarcasme dégouline et un rire ponctue ta phrase avant de te redresser. Plus sérieusement, j’essaye surtout de tuer le temps. Et il est le parfait candidat pour ça, pas vrai ? Et toi ? Tu ne devrais pas être en train de travailler sur ta prochaine œuvre ? Tu cherches l’inspiration ? Tu fais un tour sur toi-même en écartant les bras avant de continuer. Je peux être ton modèle si ce n'est que ça, tu sais.

Tu ne prends même pas la peine de répondre à la pique sur ton âge, laisses glisser pour cette fois - tu te vengeras plus tard. Parce que si tu devais relever chaque allusion à ton - grand - âge, tu n’aurais certainement aucun autre sujet de discussion que celui-là. Ta vie est longue, presque infinie, contrairement à celle des humains, tu verras Kaan disparaître bien avant que ta propre existence ne soit ne serait-ce que menacée.

Tu t’attendais à un rejet dont tu te serais servie lors de vos prochaines rencontres pour le tourmenter gentiment, mais tu es bien obligée d’admettre qu’il t’a surprise en étant ouvert à l’idée. Tu fais tout pour cacher la confusion, parce qu’il te semblait évident que s’il n’avait jamais abordé le sujet avant c’est que tu n’étais pas le style qu’il recherchait - même si tu peux techniquement changer pour être tout ce qu’il veut.

Le contact physique soudain te fait réprimer un frisson, et tu te demandes s’il se rend compte que quelqu’un d’autre aurait certainement eu le droit à un coup de crocs dans la main à la seconde où elle serait passée à portée. Le renard est toujours un peu frileux lorsqu’il s'agit de faire entièrement confiance.

Croise les bras alors qu’il tourne autour de toi, et si tu ne le connaissais pas, tu aurais certainement eu l’impression d’être une proie et ta tension serait montée en flèche. Mais tu gardes la tête haute, un sourcil légèrement levé et tu attends patiemment que monsieur finisse son petit manège. Un subtil mouvement d’oreille trahit ton intérêt, curiosité piquée à l’idée de voir où il vit et comment il travaille, intérêt facilement excité, qui disparaîtra tout aussi rapidement une fois assouvi si Kaan n’arrive pas à rendre la chose attrayante sur le long terme.

Ce n’est pas très poli de dessiner les gens sans leur demander leur avis avant, tu sais. Obligée de taquiner, trouver quelque chose à redire, comme lui avec toi. Parce que c’est un peu ça la base de votre relation au final. T’as même oublié comment vous en êtes arrivé là pour être honnête, ça te paraît juste naturel.

Et pour ta gouverne, j’ai déjà posé avant, tu ne seras pas le premier à dessiner mon visage sur la toile ou le papier. Et certainement pas le dernier pour être honnête. J’espère que ton coup de crayon me rendra honneur. Le doigt qui vient tapoter ton menton, fait mine de réfléchir. Comment elle dit déjà dans le film ? Dessine-moi comme l’une de tes françaises ? Sourire qui s’étire, alors de la queue remue légèrement.